Denis Darzacq

BOBIGNY 2 – Reconstruction Une exposition de Denis Darzacq

À la gare routière de Bobigny et dans l’espace public du 30 mars au 13 avril et à la MC93 jusqu’au 22 mai 2022.

Série photographique réalisée au sein du chantier de déconstruction du centre commercial BOBIGNY 2 en décembre 2020, avec les élèves de la Prépa’ Théâtre 93, des membres du Conseil des jeunes et de l’Atelier des anciens de la MC93.

Vernissage le mercredi 30 mars à 18h30 à la gare routière de Bobigny.

En décembre 2020, suite à l’annonce du deuxième confinement, la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis est dans l’obligation de fermer à nouveau ses portes pour une durée alors indéterminée. Si le théâtre ne peut plus accueillir de public, il peut néanmoins continuer d’accompagner les artistes dans leur travail de création. C’est l’occasion pour la MC93 de réinventer son action sur le territoire et de solliciter le photographe Denis Darzacq avec l’envie de documenter la transformation du « cœur de ville » de Bobigny en pleine mutation. Le chantier de déconstruction du centre commercial BOBIGNY 2 vient effectivement de démarrer, le symbole de la fin d’une période pour toute une génération d’habitants qui, lorsqu’ils étaient jeunes, avaient élu domicile la journée dans ce lieu pour se rencontrer et se regrouper.

Denis Darzacq avait déjà travaillé près de 20 ans auparavant à Bobigny. Dans un ouvrage intitulé Bobigny Centre-ville, accompagné de l’autrice Marie Desplechin, le photographe était allé à la rencontre des jeunes balbyniens et balbyniennes, de leurs destins, de leurs amitiés, de leurs utopies, pour interroger leur relation à la ville, à son urbanisme, et à la mémoire des lieux. Deux décennies plus tard, il revient sur ses pas avec la série BOBIGNY 2 – Reconstruction, et fait du centre commercial en déconstruction le théâtre des mutations de la vie de la jeunesse, de ses interactions, de ses espoirs et de ses épreuves en temps de pandémie.

En demandant à une vingtaine de jeunes qui fréquentent la MC93 d’investir le chantier par leurs gestes et leurs corps et d’imaginer tous les modes de relation qu’ils pourraient avoir les uns avec les autres, Denis Darzacq met à jour un nouveau vocabulaire corporel. Celui des liens sociaux que la jeunesse tente d’imaginer pour l’avenir. Chaque photographie est un état de la jeunesse à mi-chemin entre un monde en déconstruction et un futur qu’elle aura la charge de reconstruire.

Matthias Tronqual, commissaire de l’exposition

L’exposition BOBIGNY 2 – Reconstruction a été conçue par la MC93, en partenariat avec la Ville de Bobigny, l’agence territoriale Seine-Saint-Denis de la RATP et Picto.

Entretien avec Denis Darzacq

BOBIGNY 2 – RECONSTRUCTION

ENTRETIEN AVEC DENIS DARZACQ AUTOUR DE L’EXPOSITION

Propos recueillis par Matthias Tronqual en février 2022.

Crédit photos © Denis Darzacq

La jeunesse est souvent au centre de vos images. D’où provient cette envie de la photographier ?

Je suis parti en 2003 à Alger photographier deux chorégraphes d’origine algérienne (Mourad Merzouki et Kader Attou) qui venaient répéter leurs spectacles avec des jeunes algérois qui pratiquaient le hip hop. Le pays sortait d’une guerre civile et je découvrais alors ces jeunes qui, par leur pratique de la danse, manifestaient leur résistance face aux groupes islamistes. Ils avaient gagné par ailleurs leurs visas pour aller en France, et démontraient que la danse pouvait être un moyen de se créer un avenir, quand leur famille les incitait à faire des études. J’ai compris à ce moment-là que la meilleure façon de les photographier, n’était pas de faire leur portrait. Il me fallait plutôt photographier leurs mouvements pour saisir leur personnalité. Trouver l’équilibre de ces corps dans le cadre photographique était sans doute la meilleure façon, ou pour le moins, une métaphore extrêmement claire pour montrer comment ces jeunes trouvaient leur place au sein de la société. En 2005, en France, des émeutes éclatent dans les banlieues, suite au décès de Bouna Traore et Zyed Benna à Clichy-sous-Bois. Les médias répétaient à longueur de journée que la jeunesse française ne savait pas s’exprimer politiquement, qu’elle n’avait pas également le sens du travail ni de la discipline. Je venais de commencer un an plus tôt un travail photographique à Bobigny et me rendais compte du contraire. La jeunesse n’aspirait qu’à une chose, celle de participer à la marche des choses et elle avait d’ailleurs développé son propre langage par le corps et le mouvement et manifestait par cela une incroyable volonté. L’envie de photographier cette jeunesse est donc passée par la nécessité de photographier ses gestes, son éloquence corporelle, son aisance à s’approprier l’espace.

Revenir photographier la jeunesse d’aujourd’hui à Bobigny dans le centre commercial en déconstruction prend dans ce contexte, un sens tout particulier…

Tout à fait, d’autant plus que lorsque je faisais les photographies, il y a 17 ans à Bobigny, le seul point de rendez-vous chauffé à l’abri, était le centre commercial, c’était le seul espace de socialisation. Je me souviens de la phrase que tu m’avais dite : « Sorti de ce covid, comment va-t-on faire pour reconstruire le lien social ? ». La métaphore de la déconstruction du centre commercial, symbole de lieu de rencontre pour la jeunesse, est devenue, avec cette nouvelle série photographique, un cadre parfait pour parler de ce qui nous arrive aujourd’hui avec cette pandémie.

Comment regardes-tu ce projet un an après sa réalisation, au moment où l’on s’apprête à l’exposer ?

Cette série a été réalisé en décembre 2020. J’en garde un très bon souvenir. J’ai beaucoup aimé la façon de mélanger les corps de personnes qui ont pour certaines l’habitude de la représentation (les élèves de la Prépa’ Théâtre 93 et les membres de l’Atelier des anciens) avec celles qui fréquentent régulièrement la MC93 au sein du Conseil des Jeunes et qui s’intéressent à la façon dont on peut réinventer la médiation et la démocratisation culturelle. Ce mélange de corps attendus, d’une jeunesse dont le métier consiste à maitriser l’expression et d’autres qui ont des corps qui ne sont que très peu représentés dans les médias, me semble très intéressant. En dansant dans ce chantier, ils occupent l’espace de façon ironique, politique, drôle, avec tendresse, ou encore de façon théâtrale. Ils montrent toute une variété de langages qui font sens dans ce lieu en reconstruction. Les participants m’ont frappé par leur incroyable disponibilité.

La série est dans ce sens un vrai travail collaboratif. Ils m’ont surpris et m’ont fait comprendre que je n’avais pas épuisé ma démarche photographique sur la jeunesse ; que l’on pouvait encore dire des choses de cette relation entre un cadre et des corps en mouvement, et de la façon dont ces jeunes dans leur action, en tentant de résister à cette distanciation sociale, touchaient quelque chose de fort concernant notre époque. Ils sont là, vivants et volontaires, prêts à une reconstruction.